mercredi 2 avril 2014

S-21. Regarder vers le futur mais ne pas oublier le passé

Le 17 avril 1975, les Khmers Rouges entrent dans Phnom Penh, où il sont accueillis en libérateurs par une population lasse de guerres, qui aspire enfin à la paix. Mais les visages fermés des adolescents fanatisés leur font rapidement comprendre que cet espoir est vain. Une longue nuit de presque quatre années commence. Deux millions de Cambodgiens n'en verront pas la fin.

Etrangement, c'est davantage par la lecture de livres que par les témoignages familiaux que j'ai réellement découvert et pris la mesure de ce qui s'était passé. Il y a eu aussi le film longtemps défendu, enfermé dans la bibliothèque du salon, puis les documentaires bouleversants de Roshane Saidnattar ou de Rithy Panh. Et la visite du musée Tuol Sleng en 2011. En traversant ces couloirs, la gorge serrée, on réalise que le cauchemar a été bien réel.





Je ne saurais mieux retranscrire que David Chandler ce que l'on ressent lors de la visite de l'ancien lycée qui fut transformé en centre de détention et de torture.

"A chaque visite, je suis frappé par le contraste entre ce bâtiment paisible et baigné de soleil et les horribles réalités qui y sont exposées, entre les salles de classe peintes à la chaux avec leur sol en carrelage blanc et jaune et les instruments de torture qu'elles contiennent, entre les enfants qui jouent dans la cour et les photos des enfants en route pour la mort. Les yeux des photos d'identité accrochées au mur du musée, particulièrement ceux des femmes et des enfants, semblent me suivre. Savoir, comme nous le savons aujourd'hui alors qu'eux l'ignoraient, qu'ils se dirigeaient tous vers la mort quand ces photos furent prises, introduit un trouble plus déstabilisant, en ce qui me concerne en tous cas, que les photographies des prisonniers morts ou les peintures macabres de tortures réalisées après 1979 par Vann Nath, un des survivants de la prison. 
Au cours de mes visites, des mainates sautillaient souvent le long des chemins envahis par les mauvaises herbes. Des coqs couraient aux alentours, leurs cris se mélangeant au bourdonnement de la circulation sur le boulevard Monivong à l'Est ou, pendant la saison sèche, à la musique se déversant des haut-parleurs des cérémonies de mariages bouddhistes. Dans les années 1970, les bruits hantant ce lieu étaient bien différents. Presque toutes les nuits, dans cette ville plongée dans le noir et silencieuse, les employés de la prison cantonnée sur ce boulevard entendaient les cris des détenus torturés. Tous les survivants et les employés de la prison se souviennent de ces cris de douleur dans la nuit.
Quand on visite ce musée, qu'on intègre le contenu de ses archives et qu'on écoute les survivants et les employés de la prison, on entend encore ces voix fantomatiques."

Extrait de S-21 ou Le crime impuni des Khmer Rouges, traduit de l'anglais par Alexandre Helleu. © Editions Autrement, 2007.

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